
Il est 5 h 33 du matin. Je n’arrive pas à dormir. La brise du matin me caresse le visage, car j’ai dormi sur la terrasse sous les étoiles. La lumière du soleil, éclatante, m’extirpe de mon lit. La vie me tend ses bras. Tout doucement, pour ne réveiller personne, je fraye mon chemin à l’extérieur de la maison, si on peut appeler cette maison, une maison. C’est un minuscule château de pierres avec tourelles avec, au salon, des vestiges de fresques centenaires originales aux teintes d’ocre, de rose, de bleu et de vert. Je me trouve à Égine en Grèce, fin août, chez mon amie Anthe Louizos.
Je descends vers la mer le long du chemin désert pour ma prière du matin. Pas un seul nuage au firmament. Je trouve un rocher plat sur le bord de mer qui, ce matin, est doux, ses vagues, on imagine, joyeuses. Le sentiment est contagieux. Mon cœur jubile. Mes yeux s’émerveillent devant tant de beauté : la mer à l’infinie, le village au loin, encore dormant, l’air salin, la cantine des vagues qui me berce tout doucement.
Non loin, à ma gauche, j’aperçois ce couple dans la quarantaine avec baluchon. Entre eux, un grand bol en inox. Un petit filet à la main, ils plongent leurs bras à la mer. En ressort des petites boules brunes épineuses. La femme du coin de l’œil m’a remarquée. Elle devine ma curiosité et souffle un mot à l’oreille de son compagnon qui hoche la tête en aval. Elle se retourne vers moi et m’invite à partager leur rituel du matin. Je m’en réjouis. Quel privilège !
Ce sont bien des bébés échinides – mieux connus sous le nom d’oursins – qu’ils recueillent du bout de leur filet et déposent délicatement sur le rocher plat derrière eux. Habilement, à l’aide de leur pouce, ils crèvent l’abdomen de l’animal, puis de suite replonge leur main à l’eau et rince l’estomac de ses liquides visqueux. Avec l’ongle de leur pouce en guise, ils raclent le fond de la coque de l’animal et en retirent son corail d’un orangé brillant, puis hop, dans le bol en inox.
Il faudra une heure et une centaine d’oursins pour suffire à notre festin gastronomique du petit matin. Une fois une quantité suffisante de pâte d’oursin recueillie, ils retirent la balance de leur arsenal culinaire de leur baluchon : une belle grosse miche de pain bien croûté et deux citrons frais qu’ils rincent tour à tour dans l’eau de mer, puis les fend en deux tout doucement, comme on ouvre un livre, pour ensuite en extraire tout leur jus dans le bol de langues d’oursin fraîchement cueillies. À l’aide d’une fourchette, la femme bat le mélange d’oursin et de jus de citron fraîchement pressé jusqu’à ce qu’il pâlisse et triple de volume. L’homme, de son côté, défait la miche de pain en grosses bouchées et lui tend, une à une. Elle enduit chaque bouchée d’une généreuse portion de pâte d’oursin citronnée, puis me l’offre, un sourire aux lèvres. Je rêve encore. Quel délice !